Avec l’épidémie de Covid-19, l’Afrique est-elle en train de se désunir ou de se rassembler ? La question se pose plus que jamais ce 25 mai, qui est, en souvenir du 25 mai 1963, la Journée mondiale de l’Afrique, c’est-à-dire le jour anniversaire de la naissance de l’OUA. Tiébilé Dramé a été le ministre des Affaires étrangères du Mali de 1991 à 1992. Il l’est à nouveau depuis un an. En ligne de Bamako, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Que reste-t-il du rêve panafricain des années 1960 ?
Tiébilé Dramé : Le rêve panafricain poursuit son bonhomme de chemin. Il a donné naissance à l’Organisation de l’unité africaine le 25 mai 1963 et l’Organisation de l’Unité africaine a joué un rôle de premier plan dans la libération de l’Afrique lors de la lutte contre l’apartheid et contre le colonialisme.
Historiquement, quelles sont les grandes victoires politiques de l’Afrique rassemblée ?
Il y a eu l’action commune contre l’apartheid, le soutien au mouvement de libération des colonies -colonies portugaises, bien entendu-, mais également le soutien à la lutte de libération nationale du peuple namibien. Donc la victoire sur le colonialisme, la libération de l’Afrique, la victoire sous l’apartheid et la ségrégation raciale, sont les étapes extrêmement importantes de ce que vous avez appelé au début de cet échange « le rêve panafricain ». Cette soif d’unité des peuples africains a eu des résultats très concrets.
Sur le pan économique est-ce que, concrètement, en Afrique de l’Ouest, par exemple, la Cédéao n’est pas un cadre de développement beaucoup plus pertinent que l’Union africaine ?
Les organisations sous-régionales que sont la Cédéao, la SADC, la Communauté est-africaine, ne sont pas antinomiques de l’Union africaine. Au contraire, elles contribuent au besoin d’unité du continent, au rêve d’union des peuples d’Afrique.
La présence du président en exercice de l’Union africaine dans les grands forums internationaux, est-ce que c’est juste pour la photo ou est-ce que c’est une véritable avancée ?
Cela veut dire que l’Afrique est prise au sérieux par les partenaires internationaux du continent. C’est l’Union africaine qui présente la voix de l’Afrique. Il est normal que cette voix soit entendue sur la scène internationale. Partout, il est question du destin de l’humanité. On ne peut pas ignorer un continent comme l’Afrique, avec son potentiel démographique, économique, avec la jeunesse de sa population. L’Afrique sera de plus en plus un acteur international majeur. Et d’ailleurs elle est prise comme telle par nos partenaires.
Et contre le terrorisme, est-ce que les pays africains ne manquent pas de solidarité ?
Le terrorisme est en effet un des principaux défis auxquels l’Afrique est aujourd’hui confrontée. Au-delà du Sahara et du Sahel, les organisations terroristes étendent leur menace jusqu’en Afrique australe. Après le colonialisme, l’apartheid et la ségrégation raciale, le combat pour vaincre le terrorisme est l’autre grand défi du continent et de ses organisations, l’Union africaine en tête. Et lors du dernier sommet tenu à Addis-Abeba, l’Union africaine a pris des résolutions très fortes. L’Afrique va s’engager, s’impliquer davantage dans la lutte contre le terrorisme aux côtés des pays du Sahel.
En cette période de grande épidémie, est-ce que chaque pays africain n’est pas en train de se replier sur lui-même ?
Pas du tout ! Au contraire ! Le bureau de l’Union africaine, avec le président en exercice de l’Union africaine, organise régulièrement des rencontres virtuelles pour permettre à l’Afrique de coordonner ses réponses face à la pandémie. Il faut dire que la Commission de l’Union africaine joue un rôle dynamique et que le centre de contrôle des maladies CDC Afrique joue un rôle extrêmement important sous l’impulsion du Bureau de la Conférence des chefs d’État de l’Union. Je crois que rarement on a vu, face à une menace comme celle engendrée par le Covid-19, une mobilisation africaine aussi ordonnée, aussi coordonnée. Cela se passe au niveau continental, et régulièrement, mais également au niveau des différentes sous-régions du continent, pour harmoniser nos réponses, faire en sorte que l’Afrique agisse ensemble, que l’Afrique parle d’une même voix. Vous le voyez, d’ailleurs, à travers la création du fonds d’urgence de l’Union africaine contre la pandémie, avec un conseil d’administration composé des représentants de chaque région du continent. Vous le voyez à travers la nomination d’émissaires spéciaux désignés par le président Cyril Ramaphosa, pour agir ensemble au nom de l’Afrique, avec les partenaires de l’Afrique, le G20, le G7, les différents partenaires privés, comme publics, de l’Afrique, de l’Union africaine. Il y a une coordination renforcée au nom de notre continent. C’est loin d’être du chacun pour soi. Au contraire. C’est loin d’être le repli sur soi. Je crois que là aussi, le besoin d’unité africaine d’agir ensemble est démontré quotidiennement.
Il y a deux semaines sur RFI et France 24, le président malgache Andry Rajoelina a lancé : « Le problème du remède Covid-Organics, c’est qu’il vient d’Afrique ». Est-ce que vous pensez comme lui ? Est-ce que vous pensez que les pays du Nord sont condescendants, voire arrogants à l’égard des pays du Sud ?
Je crois que nous sommes face à une crise mondiale d’une ampleur inégalée. Il faudrait que les différents acteurs à travers le monde cessent de donner l’impression qu’ils ont la science infuse et il faudrait que l’on respecte ce qui vient de chaque région du monde. Ce qui vient d’Afrique, en l’occurrence le Covid-Organics, doit être considéré comme une contribution de notre continent à la lutte contre la pandémie. Cette contribution doit être prise au sérieux. Les chefs d’État africains y accordent l’importance qu’il faut. Je crois qu’il faudra franchement considérer l’Afrique comme un acteur majeur du monde, capable d’apporter une contribution à la résolution des problèmes qui se posent dans le monde. C’est comme cela que je vois la contribution malgache et celle du président Andry Rajoelina dans la lutte contre le Covid-19.
Quels sont les grands chantiers de demain pour l’Afrique rassemblée ? Est-ce l’annulation de la dette ? Est-ce l’accès d’au moins deux pays africains au Conseil de sécurité de l’ONU à titre de membre permanent, bien que beaucoup de pays africains soient divisés sur la sélection de ces deux fameux pays, ce qui pose problème évidemment ?
La sélection des pays qui vont représenter l’Afrique au sein du Conseil de sécurité, en qualité de membres permanents, est une autre étape. L’étape d’aujourd’hui, c’est le combat pour la démocratisation des relations internationales. C’est le combat pour la prise en compte de l’Afrique et de ce qu’elle apporte dans la résolution des crises du monde. Tout le monde convient aujourd’hui qu’il n’est pas normal qu’un continent comme le continent africain, en tant que ce qu’il représente comme potentiel, qu’un tel continent ne soit pas représenté à hauteur des souhaits au sein du Conseil de sécurité, comme membre permanent. Le reste, on le verra plus tard. Vous avez évoqué l’annulation de la dette. Il est évident, dans ce même cadre de démocratisation des relations internationales, que le fardeau de la dette doit être examiné. Et la solution appropriée, c’est l’annulation de cette dette. Il est important qu’il y ait un consensus international sur cette question. Il y a eu, çà et là, l’évocation d’un moratoire sur le service de la dette pendant un moment, mais il est évident que cela n’est pas suffisant. C’est pour impulser le développement africain, pour prendre en compte la contribution des centaines de millions d’Africains, que le fardeau de la dette doit être levé, aussi bien par les partenaires publics que par les partenaires privés. Bien entendu, il faudrait, au lendemain de cette crise générée par le coronavirus, que l’Afrique prenne toute la mesure des nouvelles réalités qui se poseront dans le monde, à savoir un inévitable repli sur soi des grands pays du monde. Il faudrait que nous ayons les yeux ouverts sur cela et que nous nous organisions en conséquence. Plus d’unité, ce sera indispensable. C’est là où on voit le rêve des pères fondateurs de l’Union africaine pour que les Africains s’unissent, qu’ils se donnent la main, au-delà du Sahara, au nord comme au sud du Sahara, au-delà des limites géographiques du continent. C’est-à-dire, avec les enfants de l’Afrique dispersés dans le monde, que les Africains se donnent la main pour affronter les défis du monde nouveau qui naitra de cette pandémie.
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