“Engagement est pris pour les élections au Mali” – Abdoulaye Diop

Invité de la matinale de la DW ce mercredi 18 août, le ministre malien des Affaires étrangères et de la coopération revient sur les élections et la situation dans le pays.

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Il y a un an, le 18 août 2020, Ibrahim Boubacar Keïta était renversé au Mali. Putsch militaire après des semaines de crise politique et de manifestations de l’opposition. Des autorités de transition ont depuis été mises en place et se sont engagées à organiser des élections présidentielle et législatives. 

Aujourd’hui, le gouvernement de transition dit travailler pour respecter le calendrier électoral mais, selon le ministre malien des Affaires étrangères et de la coopération, Abdoulaye Diop, cet objectif sera difficile à tenir car “presque tout reste à faire”. Abdoulaye Diop s’exprimait ce mercredi 18 août sur les ondes de la DW, dans la matinale de la radio.

DW : Sur les 18 mois de transition sur lesquelles les autorités maliennes se sont entendues avec la communauté internationale, il ne reste plus que sept à huit mois. Que peut-on considérer comme acquis et qu’est ce qui reste surtout à faire pour que les élections aient lieu le 27 février prochain ?

Abdoulaye Diop : Disons que presque tout reste à faire parce qu’en termes d’acquis sur les dix premiers mois, il y a très peu d’éléments probants pour nous permettre d’avancer par rapport à la révision constitutionnelle ou par rapport à l’organe de gestion des élections ou encore la préparation matérielle des élections. Il y a très peu d’acquis et donc les défis sont énormes.

DW : Est-ce que cela veut dire que la date pour les élections ne pourra pas être respectée ?

Abdoulaye Diop : Il y a un engagement qui a été pris par les plus hautes autorités du Mali par rapport à la date et nous nous engageons par rapport à ça. Nous travaillons à cela. Mais vous savez, comme on le dit dans un langage militaire, c’est le terrain qui commande la mission. Mais tout dépendra de l’évolution du terrain et le terrain est jonché d’un certain nombre de défis. Le premier étant le défi sécuritaire. Le gouvernement du Mali fait de son mieux et est à pied d’œuvre pour pouvoir avoir un maillage complet du territoire. En tout cas, faire en sorte que les élections se tiennent partout où cela est possible, où il y a des tensions intercommunautaires qui existent dans plusieurs localités du centre. Il y a les activités de groupes criminels et terroristes dans le nord du pays et donc nous nous évertuons à contrôler tout cela avec l’appui des pays amis et nos partenaires par rapport à cette situation sécuritaire. L’autre front, non moins important, c’est le défi social à relever. Lorsque le gouvernement a été installé le 11 juin, on a trouvé une série de grèves annoncées. L’ensemble des revendications des syndicats fait plus de 50% du budget national, alors qu’au niveau de la Cédéao, de l’UEMOA, par exemple, les critères de convergence indiquent que la masse salariale ne doit pas dépasser 30 pour cent. Donc, on a largement au-delà. Créer un consensus entre Maliens demeure aussi un défi important pour faire en sorte que la tradition puisse se poursuivre sans encombre. Et encore une fois, nous aurons besoin d’un appui conséquent de la communauté internationale dans cette période critique et nous sentons que l’appui de la communauté internationale est assez timide.

Selon le calendrier, les élections présidentielle et législatives doivent se tenir en février et mars 2022

DW : Problèmes sécuritaires, sanctions au niveau de certaines organisations dont le Mali est membre. Vous le disiez, l’engagement à respecter les délais est toujours maintenu. Mais cette transition a connu quand même beaucoup de problèmes : un coup d’Etat dans un coup d’Etat. Quels sont les plus grands défis qui se posent aujourd’hui à la transition ?

Abdoulaye Diop : D’abord, je crois que les terminologies qu’on prêtent ici et là – coup d’Etat dans un coup d’Etat – je pense que c’est un peu trop dire. Ce qui s’est passé le 18 août, c’est qu’il y a eu une intervention des forces patriotiques de l’armée sur la scène politique qui venait parachever six mois de demande pour un changement du régime. Et ce qui s’est passé au mois de mai, je crois que c’est difficile de parler des autorités qui n’étaient pas élues et qu’il y a eu une rectification du processus de transition face à un certain nombre de blocages au cours duquel nous avons frôlé un affrontement direct entre des éléments de l’armée. Aujourd’hui, si nous devons tirer des leçons, c’est de dire vraiment que nous en sommes quand même sortis avec une armée assez unie pour pouvoir aider à cheminer pour le reste du processus. Il y a plus de clarification sur le plan institutionnel et nous espérons que c’est un dernier tournant qui va nous conduire vers la fin de ce processus. Nous souhaitons que nous puissions être aidés et accompagnés dans cette phase où les objectifs ont été clairement définis. Si vous prenez par exemple la question sécuritaire : nous sommes en train de travailler pour pouvoir sécuriser le pays. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a beaucoup de blocages, y compris venant de nos partenaires. Nous avons des capacités et même un aéronef que l’État a acquis par ses propres moyens et que nous voulons déployer mais l’un des pays partenaires d’Airbus bloque ce processus pour des raisons inavouées. Donc, si on n’a pas les capacités nécessaires pour pouvoir sécuriser le pays, il sera absolument difficile de tenir le calendrier électoral. Cela doit être compris par nos partenaires. Le respect du délai des élections ne sera pas le seul fait du Mali qui a une responsabilité principale, mais aussi ils ont un rôle à jouer. Donc, on ne peut pas attendre que nous arrivions aux élections sans l’appui, la compréhension et l’accompagnement de nos partenaires qui doivent comprendre que les obstacles qui sont créés ici et là, telles que les mesures de suspension, n’aident pas. Il est important qu’il y ait plus de compréhension de la complexité et de la profondeur de la crise que nous traversons.

DW : Justement, dans quelle mesure les conséquences de la suspension du Mali des instances africaines, comme par exemple de la Cédéao ou de l’Union africaine, ou encore de l’Organisation internationale de la Francophonie, ont un impact sur la transition malienne ?

Abdoulaye Diop : Ces suspensions ont un impact et pour nous, c’est beaucoup plus sérieux que ce que pensent les uns et les autres. C’est vrai que nous avons pu éviter l’imposition de sanctions économiques fortes avec la fermeture des frontières, un blocus du pays etc. C’est qu’aujourd’hui, cette suspension implique pour nous la non-participation dans des instances comme la Cédéao et l’Union africaine, dont nous sommes membres fondateurs, dont nous vivons très mal cette situation. Mais nous pensons que c’est temporaire. Il y a des avancées importantes. Aujourd’hui, une majorité des pays au sein de ces institutions sont favorables à la levée de la suspension, donc nous allons continuer à travailler dans ce sens. Vous avez suivi le sommet de la Cédéao à Accra et le communiqué du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Tout en suspendant le Mali de ces instances, ils ont appelé la communauté internationale à continuer à accompagner le Mali. Mais dans la pratique, ceci ne se manifeste pas parce qu’on se rend compte que beaucoup de nos partenaires limitent leur intervention uniquement au financement des élections. Et les autres secteurs économiques et sociaux du pays sont laissés de côté. Et cela crée une situation parce qu’il y a une tension sociale et économique assez forte. Donc si le pays n’est pas élu de façon globale, se focaliser sur les seules élections, ne nous aidera pas. Il y a lieu vraiment pour les partenaires de comprendre que ces institutions n’ont pas demandé de boycotter le Mali, mais plutôt de l’accompagner. Et on n’arrivera pas à ces élections, s’il n’y a pas un accompagnement conséquent.

DW : Que font les autorités de transition pour convaincre ces organisations pour une sortie de crise ? Et quel genre de soutien attendez-vous de ces partenaires du Mali ?

Abdoulaye Diop : La première chose, c’est que nous n’avons jamais rompu avec ces organisations, que ce soient les Nations unies, l’Union africaine, la Cédéao etc. Nous avons maintenu le dialogue, nous avons expliqué la situation dans laquelle nous nous trouvons et nous avons fait preuve d’un engagement dans un calendrier pour achever ce processus de transition par des élections crédibles et transparentes. Mais nous continuons à dialoguer avec les uns et les autres pour leur dire que nous sommes dans une situation très complexe, une crise qui est très profonde. Le Mali est un verrou stratégique important au niveau du Sahel et il faut éviter que ce pays ne s’écroule. Le Mali est une digue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Donc, il faut avoir tout cela à l’esprit et ne pas juste se focaliser sur l’élection. Et nous souhaitons qu’il puisse y avoir une levée rapide de ces mesures de suspension pour permettre de se focaliser sur les objectifs et les priorités de la transition. Le Mali souhaite aussi plus de solidarité, plus de compréhension et moins de leçons qu’on donne ici et là. Ce qui n’aide pas. Nous souhaitons aussi qu’on puisse vraiment faire confiance au génie du peuple malien pour trouver les solutions endogènes et durables. Qu’on permette aux Maliens de se parler et de trouver des solutions. Nous écoutons nos partenaires, mais qui comprennent que la solution de ce que nous vivons ne peut être qu’entre les mains des Maliens et qu’eux se mettent dans une position d’accompagner ce que les Maliens auront aura défini. Donc vraiment de sortir un peu de ce fétichisme du calendrier électoral et de comprendre que la profondeur de la crise va au-delà du calendrier, même si nous tous, Maliens, souhaitons sortir le plus rapidement possible de ce processus de transition qui met le pays en attente sur plusieurs fronts.

En juin, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga assurait que les élections étaient une priorité de son action

DW : Sur le front de la lutte contre le terrorisme, qu’attendez des partenaires européens présents sur le terrain au Mali – dont les instructeurs allemands – qui vous aident à stopper les violences djihadistes dans notre pays ?

Abdoulaye Diop : Nous attendons beaucoup. Premièrement, nous comprenons que c’est notre responsabilité première, en tant que Maliens, d’avoir des systèmes de défense et de sécurité qui puissent répondre à cette menace. Et nous souhaitons que nos partenaires restent à nos côtés pour continuer à nous accompagner et qu’on comprenne que pour qu’il y ait élection, pour qu’il y ait démocratie, il faut qu’il y ait un Etat et que si on n’aide pas à vaincre le terrorisme, si l’Etat s’écroule on ne parlera même pas de démocratie. Donc, par rapport à cela, nous pensons qu’il est extrêmement important, même dans une période de transition, même dans un cadre qui ne répond pas à l’ensemble des normes démocratiques qu’on veut, il faut que nous puissions continuer la lutte contre le terrorisme. L’Allemagne est l’un des pays qui est fortement présent, qui a des contingents au sein de la MINUSMA, au sein de la Mission européenne de formation, la France à travers l’opération Barkhane est là aussi, elle est présente. Donc, nous souhaitons vraiment que tout ceux-ci puissent continuer à nous appuyer et qu’on lève les obstacles qui permettent de pouvoir travailler, qu’on lève les obstacles aux possibilités que les Maliens, eux-mêmes ont trouvé pour pouvoir avancer. C’est ce qui me semble être important dans la compréhension, c’est que les Maliens, nous avons les hommes qu’il faut. Il faut peut-être les former. On a besoin d’appui en équipements. On a besoin de vecteurs aériens parce que le pays est vaste, un million, deux cent quatre mille kilomètres carrés. Donc, on a besoin d’appui en termes de renseignement. Le reste, je pense que les hommes sont là avec un appui. Nous allons pouvoir le faire, mais que ça se fasse dans le cadre de la confiance, du respect mutuel, de la solidarité et de la compréhension mutuelle. Voilà ce que nous attendons de la part de nos partenaires en comprenant que nos sorts sont liés dans ce qui se passe au Sahel. Le Sahel est un voisin immédiat aussi de l’Europe et ce qui s’y passe peut arriver rapidement ailleurs. Ce qui se passe au Mali a un impact direct sur l’ensemble des pays voisins. Si le Mali n’est pas aidé, la stabilité et la prospérité de l’ensemble de la sous-région serait aussi menacée.

DW : Mais vous comprenez aussi, la réticence des partenaires internationaux face à un pouvoir qui qui n’est pas élu…

Abdoulaye Diop : Nous comprenons cela, mais il faut faire preuve de réalisme et de pragmatisme. L’objectif n’est pas de regarder dans le rétroviseur. L’objectif n’est pas de continuer à disserter sur ce qui s’est passé. Mais comment sortir de cette situation ? Comment revenir à une situation normale ? C’est dans l’intérêt des Maliens eux-mêmes de revenir à un régime démocratique normal. Les défis sont énormes et ce n’est pas les postures qui peuvent aider. Il faut vraiment regarder de façon pragmatique. Qu’est-ce qu’on peut faire sur le plan sécuritaire pour aider les Maliens à organiser les élections ? Et même pas seulement des élections. Encore une fois, faut qu’il y ait des élections bien organisées parce que la crise de 2018 est consécutive à des élections qui étaient mal organisées. Donc, si on se précipite pour aller à des élections qui ne sont pas bien préparées, je crains qu’immédiatement après, on retombe dans une crise post-électorale. On retombe à une incursion une nouvelle fois de l’armée sur la scène politique. Donc, les solutions doivent être durables pour éviter qu’on ne retombe dans cette situation. Il faut des élections, mais il faut de bonnes élections et des élections crédibles.

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